Aline - Retraverser Lombez
Ecorchée vive, elle laisse voir sa chair, briques roses, terre et paille mêlées ; elle laisse percer ses os, poutres et solives usées par le temps. A ses côtés, d’autres maisons délaissées portent encore les séquelles de l’inondation et les blessures du temps. Qu’une s’effondre, deux tomberont ! C’est le cœur de la ville et c’est le moyen-âge.
Quelques coups de marteau me rappellent que certains ont choisi de rester ici, de vivre ici malgré tout : malgré les inondations toujours possibles, malgré les maisons à l’abandon, malgré les risques d’effondrement de rues entières, malgré le quartier neuf sur la colline, malgré l’attrait de la ville. Qui se cache derrière tous ces volets clos ? Qui vit encore ici ?
Ce matin, rue de la Glace, j’ai rencontré un habitant du vieux bourg. Il m’a serré la main, puis il m’a demandé pourquoi les poubelles n’avaient pas été ramassées aujourd’hui, pourquoi les touristes photographiaient toujours la maison devant laquelle nous nous trouvions, pourquoi… Je n’avais guère de réponses à lui apporter, qu’importe ! Il ne les attendait pas, il avait envie de parler, sans doute avait-il plus encore envie d’être écouté, d’être entendu, de ne plus être seul pendant quelques instants. Peut-être reste-t-il ici parce qu’il y a toujours vécu, parce qu’il n’a jamais imaginé une vie ailleurs, plus sûrement encore parce que ses souvenirs sont accrochés à chaque rue, à chaque maison, à chaque pierre… Pour lui, les rues sont encore grouillantes d’enfants, les commerces, nombreux et florissants et le bourg, entouré de champs de maïs. Il vit dans ce temps déjà ancien où la sortie de la messe était le temps fort de la semaine, le moment à ne pas manquer, pour peu que l’on ait quelque ambition ou un rang à tenir !
Assise sous la Halle, près de la cathédrale, en plein cœur du quartier historique, je suis surprise par le calme de la place. A deux pas d’ici, la circulation des voitures mais surtout des camions est intense. Circulation de passage dont vivent les commerçants, circulation bruyante sur tout le boulevard. Impossible de tenir une conversation au café des Pyrénées : la terrasse est au coin du carrefour où se croisent la D626 qui rejoint Auch et la D632 qui mène à Toulouse en passant par Samatan, l’ennemi héréditaire ! Comment comprendre qu’une rivalité entre seigneur et évêque, une rivalité supposée, une rivalité datant de plusieurs siècles, puisse perdurer dans notre pays républicain et laïc? J’ai envie de rire et de me moquer de ces Lombéziens choqués par le mariage de l’un des leurs avec une Samatanaise. Je ne suis pas d’ici, ils me le disent, je suis une « estrangère », je ne peux pas comprendre… Ici, l’on vit à couvert, dans un monde clos dont on ne sort pas. Des fantômes en bas de soie glissent sur des parquets cirés… Je ne suis pas invitée.
Reprenant ma promenade, je vais jusqu’au lavoir, à côté du moulin. Le moulin est à vendre tout comme la belle maison 18è rue du Barry-neuf. Ces superbes bâtisses sont sans doute difficiles à entretenir et à chauffer. Avec des pièces de près de 100m², des hauteurs sous plafond de plus de 3m, des escaliers inscrits à l’Inventaire, qui vont-elles attirer ? Peut-être un des rares habitants partis visiter le vaste monde, partis travailler ailleurs, partis vivre au loin, certains même au-delà de la Loire… Un revenant attaché à ce vieux village à l’histoire si singulière. Un inventeur qui retrouverait l’allée cavalière qui, franchissant le canal et la Save, permettait aux chanoines de sortir discrètement de la cathédrale pour rejoindre la campagne. Un rêveur qui voudrait relier l’ancien bourg et le nouveau quartier, le clocher et le silo à grains, les gens d’ici et ceux d’ailleurs… « J’aime celui qui rêve l’impossible » disait Goethe ; en quittant Lombez, ma voix, modestement, s’ajoute à la sienne.