Déversoir

Publié le par etecelestealombez

 

 

 

 

 

 

Déversoir

 

 

 

 

 

 

 

 

A l'abri du haut mur fortifié de la cathédrale, je me chauffe au soleil, les fesses au frais sur une marche de béton.

 

Bruit de l'eau, régulier, rassurant. Elle s'écoule derrière le grillage.

Contemporain, le grand lavoir du déversoir. Laid. Reflets de barres rigides qui ondulent dans l'eau sale, ça fait penser à l'hôpital.

 

- Bonjour.

Un homme jeune étend son linge entre deux piliers.

- Non, j'aime pas les chats, va t'en!... (il fouillait dans mon sac!)

La fillette, elle, aime les chats, elle le prend dans ses bras, le lâche et se lèche les doigts. Ô le bon goût du chat!

 

ça y est, le linge flotte au vent. Fil de fer, comme autrefois. Mais, comme dirait Madame C. la vie de maintenant, c'est plus comme avant...

- Madame!

La fillette m'offre une fleur de plastique, "c'est pour décorer".

- Ah! Regarde le chat, il se roule par terre!

Rires.

Et moi je perds le fil.

...Jamais mon père quand j'étais enfant n'aurait étendu le linge...

Là, j'aimerais du temps pour évoquer le dur et beau et visage de ma mère.

Larmes.

 

Contemporain!

Facile à dire... Le bruit de l'eau, c'est celui de toutes les fontaines près desquelles je me suis assise, de toutes les rivières où j'ai couru pour me rafraîchir, de tous les torrents où j'ai vu jouer mes enfants, de toutes les sources dont on rêve quand la vie vous écrase; le grillage aujourd'hui brillant d'argent sous le soleil, rideau léger orchestrant l'espace, c'est celui, sinistre, de l'autre soir, quand, à cet endroit, j'ai rencontré l'homme qui cherchait un peu de chaleur humaine à la fraîche, dans les rues désertes de Lombez.

 

Par delà les losanges du grillage, un appentis, une porte de bois. Éblouie par le soleil...

- Va t'en, le chat!

Le même chat noir qui se frotte contre moi!

...éblouie par le soleil, je peux croire que c'est un de ces vieux portillons de bois que j'aimais tant, bois devenu gris sous les intempéries, souvent branlants, qu'on appelait "pas" dans mon village. "N'oublie pas de refermer le pas du jardin!"

 

Depuis, j'ai fait bien du chemin, pas en avant, pas en arrière

(1, 2 3 4 , on comptait jusqu'à 10. "Combien de pas? " Les enfants jouent-ils encore à ça?)

Mais j'avance, n'est-ce pas? Pas de mouche ou pas de géant?

Non, ce n'est pas une autobiographie, pas des souvenirs d'enfance, allons, Geneviève, sois dans l'instant!

Pourtant, c'est bien le lieu, un déversoir, pour s'épancher.

 

Dans cet espace chargé d'histoire - une fenêtre à meneaux à ma gauche- le monde contemporain est bien présent: porte de garage bien repeinte, grille bleue assortie (celle qui fait rugir Marie-Thérèse), derrière mois "Route barrée", là un carton éventré qui fait le bonheur du chat.

 

J'aurais voulu parler encore des reflets mouvants sur la charpente de bois, de l'ombre du linge qui flotte en contrebas....

Mais j'ai rendez-vous avec Geneviève.

 

Publié dans TEXTES DE GENEVIEVE

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