Légende lombézienne
Légende
Il y a deux caves, deux bouches d'ombre sous l'édifice. N'y entrez pas, aucune flamme ne résiste au souffle des ténèbres; passez votre chemin, que la frêle Gosserande vous frôle de ses voiles, la mort vous emporterait dans un torrent de larmes.
Vieille maison, bonne famille. Une jeune fille: pure beauté, teint de lys, bouche de rose, cheveux de jais.
Promise. Au neveu de l'archevêque lui-même.
Elle, 15 ans, fleur nouvelle. Lui, plus de 50, riche, bedonnant, la lèvre grasse, une barbe de cactus. Dans son noir tombeau, Gosserande sent-elle encore le baiser de porc-épic sur sa main?
Fiançailles, la vie s'écroule.
Elle avait brodé le trousseau, entendu les marchandages- la dot, les champs, les greniers, le bétail, et le prix de la bague! Le jour du mariage approchait, murmures sur son passage, un beau parti, et la robe! des dentelles de Nevers!...
Fuir, oublier la prison, rêver encore du Prince Charmant, s'échapper ...ou mourir.
Un soir, à la tombée de la nuit, vêtue d'une robe de paysanne, le visage dissimulé dans un fichu de laine, elle s'enfuit, court loin de la maison paternelle, longe les maisons de ce qu'on appelle aujourd'hui le Boulevard. Un peu plus loin, là-bas, près de la Porte de la ville, une haute silhouette, un chevalier, noir dans le soleil couchant. Que porte-t-il au côté? Ni une épée, ni un glaive, ni une lance. Elle s'approche de la lumière de la lanterne. Beau visage sous le heaume, un étranger: il ne peut la trahir , il ne la connaît pas.
"Monsieur! Sauvez-moi!"
Elle raconte. Les ancêtres de Monsieur Saint-Gras, les écus de Monsieur Saint-Gras, la bouche lippue de Monsieur Saint-Gras, son horreur de Monsieur Saint-Gras.
L'étranger lui prend la main, la guide au-delà du pont. Sa parole est douce et son regard brûlant.
Il la sauvera.
Elle frissonne: ce grand bâtiment, dont les hautes lucarnes rougeoient comme des yeux diaboliques dans les lueurs du crépuscule, est un des entrepôts de Monsieur Saint-Gras.
L'épouser? Jamais!
"Monsieur, il faut aller plus loin."
Plus loin, sous un arbre, à quelques pas de la rivière, un cheval frappe le sol de ses sabots. Une immense demeure aux volets d'or se dresse devant eux.
- Qu'on apporte un flambeau!
Ombre et lumière.
Les mains du chevalier sur son visage, sa bouche sur ses lèvres. Oubliés les cactus, les comptes d'apothicaires, les cloches de l'église, le bedeau, l'archevêque, les parents, les dames patronnesses!
- D'où viens-tu? Qui es-tu?
- Qu'importe le passé? Je suis ton avenir.
- Et ce drôle de bâton?
- C'est un bâton de feu.
Il y avait du feu dans ses yeux.
-Non! Il ne faut pas! Par Saint Majan! Par la Vierge! Par le Christ!
L'a-t-il prise? S'est-elle donnée? L'histoire ne le dit pas. Deux jeunes corps se sont trouvés.
Ensuite? Que s'est-t-il passé?
Bruit de tonnerre, odeur de poudre, corsage taché de sang. Disparus les plafonds dorés. Flèche lugubre sur une poutre noire. Message de sang sur la pierre :
Elle est allée à Samatan sur le cheval du Diable.
Ricanements, galop effréné...
Aux rayons de la lune, vous auriez pu voir un étrange cavalier vêtu d'une longue cape noire: figure de cire, rictus triomphant, il volait sur un cheval de fer, emportant à jamais l'âme de Gosserande.
On dit que le spectre de la jeune fille erre à jamais dans les souterrains, implorant la Vierge et tous les saints de lui donner la paix. Gardez-vous d'approcher de ces bouches d'ombre, on dit que la belle se venge sur les vivants, les Saint-gras et les pauvres diables, de tout ce qu'elle endure encore.
LE PUBLIC*
- Brrr!
- Bof!
- Encore une histoire à lomber debout!
- Tomber de Saint-Gras à Satan et terminer comme fantôme! Demoiselles d'aujourd'hui, plaignez le sort des filles du temps jadis!
- Jeunes filles, si jamais un beau jeune homme vous prend la main pour vous conduire à Samatan ou à Lombez, par le corps volé de Saint-Majan, colombez à loisir, oubliez les spectres et le Diable !
- D'façon, j'crois ni aux fantômes, ni au diable!
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