CHRONIQUES LOMBEZIENNES DE 1330 à NOS JOURS
1ère voix : Francisco Pétrarque fin de l’été 1330
« Je suis là depuis quelques heures au milieu de Lombez, sur la grand place qui regarde la cathédrale, cette cathédrale renommée jusqu’à Rome. Je suis là à attendre donc j’écris. Je viens de prendre congé de mes hôtes, les Colonna, une grande et ancienne famille qui réside à Lombez depuis longtemps.
Jacques le plus jeune fils de Giuseppe est évêque de Lombez. Nous sommes amis depuis le début de notre jeunesse, il m’a invité pour tout l’été dans ce coin de Gascogne qu’il affectionne particulièrement. Il m’a même fait chanoine, moi qui doute en permanence de ma foi !
Dès que je suis arrivé de ma Toscane, j’ai été sous le charme de ce paysage, de ces masures ocre. Leur terre d’ici l’argile bien jaune et collante, est partout dans les chemins, les champs Le petit peuple la travaille en la mélangeant à de la paille et en fait des murs. Il l’appelle le torchis. Cela n’a pas la même allure que nos pierres mais je dois avouer que cela a du charme.
J’adore leur petite rivière qui sillonne, il parait qu’elle leur fait des caprices parfois à l’automne. D’ici là je serais parti. Depuis quelques jours, j’ai la nostalgie de mon Italie. Pourtant parfois, je retrouve en Gascogne les courbes et les cyprès de ma chère Toscane. J’étais venu ici pour prendre un peu de distance d’avec Rome et son tumulte. J’ai fuit le bruit et non les amis comme certains ont pu l’écrire.
Des après midi entières, je suis allé me promener dans le parc. Les essences y sont nombreuses et quelle fraicheur ! Les moines très fins dans leur goût de vivre ont bien réfléchi à leur affaire !
Ils y ont aménagé un vivier où carpes, goujons et autres poissons que je connais pas nourrissent mon gourmand d’ami évêque.
Avec lui quel bonheur d’échanger des heures durant sur nos cheminements philosophiques, Dieu et la vie. Nous ne nous sommes jamais lassés d’être ensemble. Plusieurs fois l’aube nous a surpris assis dans nos fauteuils sous les arbres, transis de froid mais rassérénés.
J’ai écrit chaque jour à ma bien aimée Laura, la lumière de ma jeunesse. Avant mon départ d’Italie, une épine avait blessé mon cœur, entamé ma confiance et je crois qu’elle y est encore enkystée. Et retrouver Laura me remplit de joie et d’angoisse. Mon absence l’aurait –elle éloignée de moi ?
Les chevaux sont maintenant sellés. Grâce à mes amis de Gascogne, tant mon esprit que mon corps sont pour longtemps rassasiés, je n’oublierai pas cet été céleste à Lombez ! »
2ème voix : A.C. le 6 juillet 1944 :
En rentrant de ma tournée quotidienne, je suis passée voir les trois jeunes. Ils étaient sur le point de partir. Je leur ai dit au revoir et souhaité bonne chance. Ils partaient pour Meilhan. Ils m’ont expliqué qu’ils auraient dû être déjà loin s’ils n’avaient pas été retardés par les livraisons de ce que vous savez. Parmi eux il y a le petit jeune d’en face. Je le connais depuis qu’il est né, son père est dans les ponts et chaussés.
Gafet, il venait au magasin voir les ouvriers, ça l’intéressait la boulange. Après, il a continué ses études, il est licencié en droit je crois maintenant. En tout cas il n’a pas oublié Lombez. Il ira loin ce gosse si les boches ne le chopent pas !
Joseph le docteur et Henri le fils Bécanne en sont, eux aussi. Ils n’étaient pas obligés ! Tous des beaux gosses et courageux avec ça. Ils savent ce qu’ils veulent, z-ont la tête sur les épaules enfin moi je les connais pas vraiment. C’est mon cousin d’Espaon qu’en fait partie qui m’en a touché deux mots. Lui aussi il s’en va à Meilhan. Ca va être un gros truc, ça va faire du foin…
Je vais rentrer la Peugeot maintenant, ma tournée est finie. Pourtant des fois moi aussi, j’en ai envie. De tout plaquer..ça fait 5 ans qu’il est pas là Roger. On venait juste de se marier Il est parti et fait prisonnier là bas. Pas de nouvelles. J’envoie des colis avec des lettres mais s’il faut, il ne les reçoit pas. Je l’attends, 5 ans c’est long. Des fois je ne devrais pas le dire, je perds espoir, et s’il ne revenait pas ?
Je tiens bon, je m’accroche mais c’est dur, la boulangerie. Les ouvriers sont sympas mais c’est lui le patron. Il manque d’ailleurs depuis qu’il n’est pas là, on ne fait plus la main de St Majan pour les communions, c’était sa spécialité !
Je dis rien pour tenir, tenir et je tiens !
Bon, motus maintenant et au boulot ! sortons vite de cette place , il y a trop de vert de gris autour j’en ai les poils des bras qui se hérissent !
3ème voix : MC.R. Lombez 8 juillet 2011 midi sur la place de la cathédrale
Salon de thé éphémère. A l’ombre de la cathédrale, j’ai presque froid. Envie de rejoindre le chat au soleil sur les galets. Le café est comme je l’aime : serré.
Bruits réguliers d’une masse sur un mur à démolir ? Démolir, décrépitude. Quand viendra le temps de la reconstruction ?
Les martinets font inlassablement des tours au dessus de la halle. Leurs petits cris stridents ne troublent personne. Il n’y a personne. Nombreuses voitures garées sur la place : où sont les passagers ?
C’est calme, très calme. Où est la vie ?
« A l’époque, (laquelle ?), les commerçants étaient dans le centre. »
Quelques vestiges de boutiques fermées, rideaux baissés, rouillés, lettres arrachées, marques de vie passée.
« Ensuite, expliquait notre boulangère les commerçants se sont installés sur le boulevard. De nombreux commerces, une centaine, » disait elle en souriant. Je la soupçonne d’être un brin, généreuse.
Aujourd’hui, d’ici, je ne perçois aucun bruit de cette activité.
Tout est calme.
Les pleurs d’un nourrisson échappés par la fenêtre d’un rez de chaussée viennent troubler le calme de cette place, aussitôt apaisés par sa mère.
Le centre de consultation (CMP) a la porte fermée. La folie est en vacances.
Silence à l’école maternelle : vacances assurées et déménagement garanti ! Les charmants bambins auront droit à la zone commerciale et aux pelouses rectilignes. N’approcheront plus Pétrarque et son parc !
Maintenant ce sont les cloches de la cathédrale qui jouent un air marial. Marie qui protège l’abbaye. J’ai rejeté au plus loin mes souvenirs d’enfant bénie, moi qui ai ma fête le 15 août ! Donc je ne retrouverai pas son titre. C’est d’ailleurs un air qui se veut gai ! Une grosse cloche vient clore cette ritournelle d’Ave Maria. C’est midi
Une voiture d’autoécole arrive doucement se gare devant le porche. Moteur éteint. Silence de nouveau.
Je parie qu’elle vise l’ombre mariale : le frais et la protection de St Majan peut être ?
Je scrute ce tympan ; aucune sculpture, des blocs de pierre nus. Pas d’argent, pas assez de temps pour finir en beauté cette abbaye du XIII ?
Il y en a une qui veut lui redonner son prestige. « Ouvrir la porte ouvrir la porte de côté aux Lombéziens comme autrefois » elle va s’entêter, j’en suis sûre !
Elle va y mettre toute son énergie. Tiens, je la verrais bien mettre une annonce sur le net : « recherche trois émirs fortunés (pléonasme ! Non, elle écrit mieux que ça, la responsable aux affaires culturelles) pour financer travaux prestigieux dans belle région sud ouest de la France. «
Elle plaisante à moitié avec son sourire malicieux, elle est déterminée ; avec une gravité dans le regard qui ne fait pas douter un seul instant de son engagement. D’ici, j’entends le bruit de la chute d’eau du déversoir. Le canal ; le parc derrière la cathédrale.
Pas revu Mr B. Une lueur de lassitude, de souffrance émanait de lui le soir où nous sommes allés le déranger dans son travail. Divers malheurs avaient fait de lui l’héritier prématuré d’un patrimoine chargé d’histoire.
Pas de bienveillance pour les héritiers ? Plus le temps de participer aux réjouissances du village, juste le nez dans le… bidon d’ argile-paille.
Cette tâche de forçat (remonter une maison en torchis de A à Z) va-t-elle légitimer sa place dans ce patrimoine ?
Quelques mots sur toutes ces rencontres du passé et d’aujourd’hui après avoir ouvert notre regard sur le village. Sentiment d’avoir vécu un moment intense tant entre nous les « écrivants » qu’au travers des rencontres avec les habitants.
Entrevoir juste un instant un peu de cette lumière céleste qui a ébloui le poète italien?